she ain't no hero (LIBRE)

L’été est chaud et le métal s’engourdit sous les machines, quand le train passe, il fume, le bitume s’échauffe sous les pas fatigués de la foule, elle est un chat habile, les corps tièdes la frôlent, l’ensorcèlent, elle se défait du sort, elle se retrouve dans le tunnel où les âmes excédées par les températures viennent chercher le réconfort d’une atmosphère moins écrasante. Mais la station est une tueuse, les degrés sont montés avec l’humidité, tout s’est accumulé et les gens s’agglutinent à bord des wagons comme des mouches sur une tartine de confiture. Sa victime est un oiseau pris au piège dans le goudron, lui qui fond sous le poids des hommes et des femmes occupés, Isabel glisse une main dans la veste du pauvre volatile, et c’est un enchaînement rapide qui s’ensuit, jusqu’à ce que leurs mains se lient. - Voleuse attrapée, fille poison dans les mailles du filet, éternelle gamine aux yeux défaits de sentiments nobles, rien que des sottises dégoulinant de ses paupières de mioche. -

J'suis un peu dans ma bulle, je réponds plus de rien. Les écouteurs vissés aux oreilles, je suis déjà bien loin de la réalité, la musique m'ayant emporté sur une autre planète. La gare est pleine à craquer, tout le monde se bouscule et j'ai l'impression de manquer d'air à cause de la chaleur écrasante. Le bruit assourdissant des wagons s'arrêtant au quai m'indique que je suis enfin de retour à la maison, après un court séjour chez mes parents à la capitale. Perchée sur mes hauts talons et tirant une valise qui pesait facilement deux fois mon poids, il était tout simplement évident que je me casse la gueule en descendant, étant doté de deux pieds gauches. Bam, je tombe sur les deux genoux, sur ce bitume à la chaleur d'un volcan, et pour limiter les dégats, j'ai la mauvaise idée de plaquer mes mains au sol alors que je tenais mon téléphone. Bam, l'écran explose. Bam, mon chapeau de paille vole au loin. Les courants d'air du train l'emportant encore plus loin, et levant au passage ma robe déjà bien courte. J'ai l'air minable à ce moment là, puis des petites larmes commencent à inonder mes yeux, ressentant bien ma peau écorchée au niveau des genoux. Je suis victime d'une conspiration, le Roi des Démons en a après moi, je suis une catastrophe ambulante. Et alors que la situation ne pouvait pas être pire, j'ai l'impression que quelqu'un essaye de me faire les poches. Non mais attendez, c'est pas qu'une impression. Y'a bien cette main fourrée dans les poches de ma veste. Avec rapidité, j'enroule mes doigts autour de ce poignet trop fin. « Hééé, qu'est-ce que tu fous là ? » En gueulant, j'me retourne, séchant vite les larmes qui menaçaient de rouler sur mes joues d'un geste vif de mon bras libre. « J'suis fauchée de toute façon ! » Fauchée comme le blé, plus de téléphone, un patron qui menace de me virer, pas d'économies, rien. En tapant mes mains sur mes poches bien vides, je regarde enfin la concernée et j'arrête de gueuler. Mais.. c'est une fille, toute petite, un peu comme moi, cette air innocent collé à la gueule. Un paradoxe, un peu.

La chute est terrible, l'enfant-terreur se stoppe, sa main se dégage vivement - ça lui fait comme une brûlure, être prise la main dans le sac. - La voix de l’inconnue et son accent local percent contre ses tempes des trous d’un diamètre affolant, elle est entre deux feux, celui de la honte et celui de Papa. Papa, qu’est-ce-qu’il va dire si y a rien dans ses poches à la fin de la journée ? Comment on fait pour s’enfuir quand on vient de tout cramer avec un seul regard, les deux qui se confondent presque avec la température qui vient tout engloutir. Dans les sous-sols les nuques sont tièdes et les mains moites. Isabel secoue la tête, elle en a rien à faire de son avis à la fille, il lui faut des billets verts, il lui faut de quoi remuer la queue devant Papa pour pas que y ait de problème ce soir, à la maison quand les volets seront fermés, elle veut voir ses yeux briller, elle veut pas d’embrouilles, Isabel, mais c’en est une à elle toute seule, Isabel avec ses mains qui courent partout, qu’essayent de se faufiler pour trouver des trésors, le rouge lui monte dans les joues, elle a envie d’s’enfuir en courant mais on la bouscule, elle s’rattrape en agrippant l’inconnue, et ses mains se retrouvent sur ses deux épaules. « Ecoute j’vais te laisser tranquille, c’est pas contre toi. » Phrase de connard, tiens. Phrase qu’on débite pour se trouver des excuses, pour s’en aller sans trop de remords, mais ça marche pas, Isabel, c’est une mauvaise pie voleuse, un oiseau de pacotille.

La nana a l'air un peu déboussolée. C'est sûr que j'aimerais pas être à sa place. Se faire prendre la main dans le sac, surprise en plein délit. Elle a l'air d'avoir peur, de craindre quelque chose et c'est sûrement pas moi. « C'est quelqu'un qui t'envoie faire ça ? » C'est que j'avais un peu de mal à croire qu'elle faisait ça de son plein gré. Comme quoi, faut se méfier des apparences. Sourcil arqué, mains dans les poches de ma veste, je la dévisage un peu, cherchant la moindre petite faille. Elle est dans le mal, la petite brune et ça me fait doucement sourire en coin. "C'est pas contre moi". C'est quoi cette excuse à deux balles ? « C'est pas contre toi mais tu devrais trouver un taf plus honnête. » Avec mes doigts, je mime des guillemets sur les quelques mots "c'est pas contre toi" histoire de lui montrer que son excuse est bidon. Puis elle pose ses mains sur mes épaules, elle s’agrippe à moi comme si elle voulait pas sombrer. Au final, elle a de la chance de tomber sur quelqu'un comme moi, c'est pas tout le monde qui se serait retenu de l'entraîner de force chez les keufs, de la mettre dans la merde. « Parce tu tomberas pas toujours sur une petite blonde avec la force d'une mouche. » Et ce jour là, ce sera pire.

« Donc toi tu fais souvent la conversation à des têtes de cul comme moi ? » Isabel a les mains sales mais c’est pas la première fois qu’elle se retrouve dans la foule à devoir plaider sa cause. Isabel a les mains sales et le sang qui monte au visage, non c’est pas comme dans les films, y a quelque chose d’assez moche à voir les enfants terribles tomber de leurs piédestaux. Allez Isabel, c’est un peu tard pour retourner sa veste là. Métier de merde. « Ouais on me l’a toujours dit » Faible sourire qui remonte malgré tout sur ses joues comme un virus dévorerait un corps. Etrangement y a des cons partout mais faut qu’elle en rajoute.
Elle peut pas parler de « Papa » malheureusement c’est hors limites. Et son sourire fend la moitié de son visage maintenant, il envahit, c’est qu’elle pourra pas lui dire que la plupart des gens sont des têtes de cul comme elle qui finiront dans un trou pour avoir cherché à se faciliter la vie et pourrir celle des autres - sur un coup de tête ? - Ou peut être parce qu’on lui fout le couteau sous la gorge. Mais pour Isabel c’est comme si y avait constamment des caméras au dessus de sa tête, on l’épie, on la tient en otage salement (elle voudra juste pas s’avouer cette partie-là parce que ce serait une mauvaise fifille à son papa). « J’ai le chic pour tomber sur les mouches et éviter le reste. » Silence. « En général. »